L’unité la plus élémentaire de la forme noire est le trait. Un trait est la trace ininterrompue laissée par un outil sur une surface d’écriture. Un trait commence par le report de l’outil. 1
C’est ainsi que Gerrit Noordzij, enseignant en conception de caractères typographiques à l’Académie Royale des Beaux-Arts de La Haye, présente dans son ouvrage Le trait, une théorie de l’écriture l’une des composantes principales de l’écriture, qui définirait ce qu’il nomme le blanc du mot
.
En proposant le trait comme élément fondamental de l’écriture, Gerrit Noordzij tient compte du geste et de sa rencontre avec le support dans la construction formelle des mots.
Tracer une lettre nécessite en amont l’analyse du geste qu’il sous-tend. 2
Pour Tim Ingold, la trace, dépendante d’une surface, est l’un des nombreux types de lignes. Ces lignes, omniprésentes, se révèlent de différentes manières dans de nombreuses situations.
Les lignes sont partout. Où qu’ils aillent et quoi qu’ils fassent, les hommes font des lignes, en marchant, en parlant, ou en faisant des gestes. 3
Cependant, le type de ligne s’émancipant de la surface et investissant l’espace tridimensionnel porte chez Ingold le nom de « fil ». Son existence y est tributaire de sa suspension entre deux points ou de son entrelacement avec d’autres filaments. Cette définition, offrant une analogie avec le monde du textile et présentant la ligne spatiale comme un objet palpable, nous questionne sur les attributs et les caractéristiques des lignes produites par nos gestes.
L’écriture peut-elle s’affranchir de la trace, et donc de la surface ?
Les sillages de nos gestes peuvent-ils constituer des signes ?
Comment retranscrire graphiquement ou capturer ces mouvements intangibles ?
Nous allons explorer dans cet écrit l’implication du geste dans des domaines d’application hétéroclites et non exhaustifs, dont les échos pourront nous aider à tirer des enseignements et nourrir notre réflexion autour de la pratique de l’écriture dans l’espace.
Lors de mon apprentissage de l’écriture, j’ai appris à dessiner des lettres en n’utilisant qu’une portion réduite de mon corps. Mes premiers pas de scripteur se sont heurtés à la rigidité imposée par l’instruction qui ne permet pas à l’écrivant d’explorer les différents supports, échelles et contraintes qu’il souhaite. Le signe ne doit pas outrepasser les frontières du couloir matérialisé par des lignes. Le corps est assujetti à une posture 1, à une position pour n’écrire que sur une surface horizontale. Tout cela, rompant avec la joyeuseté candide exprimée par les jeunes explorateurs graphiques, qui n’hésitent pas à s’évader de la page pour en investir l’espace environnant.
L’enseignement occidental a laissé s’introduire l’habitude de maintenir le poignet immobile pendant qu’on écrit et de conduire la plume à l’intervention d’une dizaine de phalanges environ 4
En arrivant en DSAA Design Typographique à l’École Estienne 16 années plus tard, j’ai découvert de nouveaux procédés invoquant l’écriture manuscrite. Après plusieurs séances d’apprentissage de la calligraphie, il m’arrivait de questionner certaines contraintes imposées par les modèles. La tentation de déroger à la patience et la maîtrise, indispensables à la réussite d’un dessin manuscrit, fit rapidement son apparition. Certaines expérimentations plus ou moins réussies m’ont permis de m’emparer d’outils dont l’usage initial n’appartient pas à la calligraphie. C’est ainsi que des bâtonnets de glace en bois et autres bouts de plastique plus ou moins souple prennent place dans ma trousse nouvellement garnie.
Pour parvenir à produire des formes variées et essayer de maîtriser ces nouveaux instruments, la modification de leurs caractéristiques techniques semblait nécessaire. La taille en biseau, l’ajout de papier buvard pour en allonger l’autonomie ou la mutation d’interfaces immaculées en aspérités prononcées pour en transformer la trace me firent découvrir de nouveaux gestes et territoires formels qui me paraissaient autrefois hors d’atteinte.
Cette pratique du détournement et de la modification d’outils n’est en rien étrangère à la pratique de la calligraphie. Martin Andersch dans son ouvrage Traces, signes, lettres présente une méthodologie expérimentale d’apprentissage de la calligraphie qu’il mit en œuvre dans la section arts plastiques de l’École supérieure de Hambourg dans les années 1980. Ce livre, très critique à l’égard des méthodes classiques d’apprentissage de la calligraphie, prône une libération absolue du geste d’écriture.
Afin qu’ils [les responsables des ministères de la culture en Allemagne] renoncent à la politique absurde et dangereuse que représente un enseignement trop rationnel et trop intensif. 5
Luttant contre les modèles d’écriture imposés par l’école, Martin Andersch s’emploie à déconstruire méthodiquement l’apprentissage des nouveaux étudiants 2.
Il devint alors prioritaire pour moi de trouver comment libérer les étudiants de ces écritures laides et sans intérêt, issues de l’enseignement stupide des professeurs du primaire. 6
La production des étudiants est alors qualifiée de « signes rythmiques » 3 4 5 par Martin Andersch, ce qui peut faire référence au travail de Gerrit Noordzij dans Le trait, une théorie de l’écriture qu’il citera plus tard dans l’ouvrage : « Les lettres sont des formes pures, l’écriture est un rythme ». Pour permettre aux apprentis calligraphes de se concentrer sur les qualités graphiques de leurs productions, Martin Andersch préconise pour ses premiers cours l’utilisation d’un support ordinaire, dont la taille ne surpasse pas celle d’une feuille de papier courante. Ce protocole sert à donner un cadre aux expérimentations , limitant ainsi la dispersion des pratiques qui diluerait la concentration du scripteur. Les signes une fois stabilisés peuvent se métamorphoser lorsqu’ils sont réalisés à une échelle différente.
Cette transformation formelle révèle le rôle important de la posture et de l’implication du corps dans le dessin. En effet, l’utilisation d’un outil ayant pour pointe un biseau d’un millimètre d’épaisseur implique nécessairement une mobilisation accrue de certaines parties du corps, l’adoption d’une posture spécifique. Son contraire est d’autant plus saisissant lorsque la taille du signe supplante celle du scripteur. Des paramètres d’équilibre, de hauteur, d’atteignabilité et de poids de l’outil entrent pleinement dans la danse.
L’usage de différents instruments, échelles et vitesses d’exécution implique une transformation du geste d’écriture, et ainsi du dessin produit. Quelle est l’implication réelle du corps dans la construction d’une forme ?
Le lundi 7 novembre 2022, j’ai eu le plaisir de rencontrer le designer plasticien Baptiste Meyniel au sein de son nouvel atelier au Jardin des métiers d’Art et du Design 7 à Sèvres qu’il occupe depuis le mois de septembre. C’est après mon incursion dans une journée d’étude organisée en visioconférence par l’EnsadLab nommée Convergences. Design, Sciences et Artisanat du Verre le lundi 11 janvier 2021 que j’ai découvert son travail. N’étant pas destiné à assister à ce colloque qui a su aiguiser ma curiosité, cet évènement m’a permis de semer une graine dont le germe fit son apparition au moment de la conception de cet écrit.
Derrière son exposé autour du partenariat avec le Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA) réalisé en 2019, se dissimulait la question du geste, fondamentale dans le travail de Baptiste. Les réflexions sur la matérialisation et la mise en volume de certains de ses dessins ont eu un écho particulier avec mes premières expérimentations typographiques en volume et ma pratique personnelle de l’image.
Après avoir pris place dans son atelier, un échange d’une heure environ s’est établi, en voici quelques retranscriptions :
Ma première question fit référence au processus de création appliqué dans sa série de dessins nommés Extrusions 7 où Baptiste Meyniel réalise une gamme d’illustrations faisant appel à un geste et à un outil, conçu et fabriqué en relation avec celui-ci. Sa pratique se déploie sur une série de feuilles blanches avec pour fil conducteur une translation exercée par le corps sur un tampon fabriqué sur mesure et l’utilisation d’une encre monochrome.
Quelle a été la naissance de ton processus créatif, le geste provient-il de la forme que tu désirais réaliser, ou la forme a été engendrée par le geste ?
Le geste a donné naissance à l’extrusion, (affirma-t-il après une courte réflexion). Avant de travailler avec mes propres outils, j’ai expérimenté la plasticité d’outils plus conventionnels (feutres, pinceaux...). Puis, j’ai commencé à détourner des instruments, à utiliser des balais pour peindre, ou des râteaux sur le sable pour dessiner dans le paysage. Enfin j’ai fini par développer mes propres outils pour pouvoir déployer les formes que je souhaitais, directement par le geste. Ce qui faisait extrusion était ici l’étirement de la matière graphique. J’ai notamment découvert un ouvrage qui faisait écho à mes recherches. Il s’agit de theory of writing de Gerrit Noordzij qui présente des schémas extrêmement clairs qui entrent en résonance avec les principes simples mis en œuvre lorsque je dessine avec les outils de dessin . Réciproquement, je pense que certains de mes dessins extrudés cherchent à mettre en évidence l’essence même du trait, de la ligne. D’ailleurs, selon moi, et en simplifiant à l’extrême, la ligne est une extrusion du point par le geste.
Intéressé par les relations entre certains dessins (Extrusions) et plusieurs créations en volume, notamment réalisées en verre au cours de la résidence avec le CIRVA en 2019, j’ai souhaité comprendre les relations qui unissent ou isolent ces œuvres plastiques, leurs éventuels liens de filiation ou leur désamour.
Tout d’abord, il y a deux choses importantes à savoir. Ma recherche plastique par le dessin a une autonomie par rapport à la réflexion de l’objet. Ensuite, le dessin n’est pas le préalable à la réalisation d’un volume matérialisé. Par exemple, le dessin vient parfois seulement une fois que l’objet a été réalisé – l’outil de dessin est par exemple créé pour pouvoir reproduire l’image d’un objet, comme ici avec la création d’un tampon directement inspiré de la forme des poutrelles IPN 10, utilisées pour réaliser un objet en verre soufflé. Il ne s’agit pas d’un processus linéaire où l’objet est systématiquement créé par l’image avant d’être traduit en volume.
Tu te considères davantage comme un faiseur d’images ou un créateur d’objets ?
Au début, je ne me considérais pas du tout comme faiseur d’image. Je suis issu d’une formation en design produit à l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les Ateliers). Le travail de l’image est arrivé progressivement lors de collaborations avec des imprimeurs, des graphistes, le travail avec une héliograveuse, qui m’ont donné à voir des liens avec certaines questions de design d’objet telles que la reproductibilité. Finalement, je suis aussi créateur d’objets qui restent dessins. Avec du recul, mes recherches sont avant tout une démarche plastique, un travail de la matière sans finalité d’usage.
Tu as évoqué ton inspiration des outils numériques de CAD pour créer tes propres outils analogiques. Est-ce un besoin de poésie ? de matérialité pour construire des formes ?
J’ai été amené à utiliser des outils numériques dans mon quotidien de designer, et à y porter un regard critique. Ces outils sont omniprésents, on se met à penser à travers eux. Ils sont aussi très pragmatiques, réalisent parfaitement les tâches qu’on leur confie. J’ai appris à utiliser Rhinoceros 3D , un logiciel qui contient beaucoup de fonctions pour passer d’une forme en deux dimensions en forme en trois dimensions. C’est une grande source d’inspiration pour imaginer d’autres outils. L’extrusion, un terme utilisé dans les logiciels de création industrielle pour décrire la conception d’une forme tridimensionnelle à partir d’un dessin plan est un vocabulaire issu de procédés analogiques. Cet aller-retour entre analogique et numérique est pour moi très fécond. Mon souhait est de réaliser un travail artisanal, je suis attaché à l’importance de la main, à son autonomie, à la recherche d’épanouissement en étant à l’écoute du plaisir que cela produit. La matérialité des choses est importante, sur un logiciel, l’espace 3D est infini, sans matière définie, il peut être traduit, matérialisé ou imprimé en 3D de différentes manières, la création y est décorrélée des matériaux et de leurs langages, cela peut donner lieu à des absurdités lorsque l’on dessine les choses à l’encontre des matériaux. Avant de réaliser mon diplôme à l’ENSCI, j’avais un intérêt pour la création en réalité virtuelle, les logiciels de dessin dans l’espace, comment être amené à dessiner dans l’espace. C’était dans un contexte où le matériel [visiocasque stéréoscopique et manettes de suivi de mouvement] balbutiait encore il y a plusieurs années, les outils n’étaient pas trop explorés, il était intéressant en tant que designer d’explorer ces champs nouveaux. Je n’ai jamais pris le temps de m’y attarder ; c’est la preuve que j’avais envie d’aller ailleurs.
Lorsque tu conçois un nouvel outil, est-il issu du dessin que tu souhaites réaliser, ou les caractéristiques de l’outil te permettent de découvrir de nouvelles formes ?
Quand je fabrique un nouvel outil, j’ai déjà une idée de ce qui va être produit. Il est important de rappeler que le premier outil que j’ai conçu était fait d’éponge et de bois, j’ai ensuite souhaité affiner les dessins pour être plus fin en améliorant les dispositifs. Il y a une vision de ce que je cherche à obtenir, cela ouvre des axes de recherche même s’il y a des choses que je n’avais pas anticipées, dans l’intuition, l’improvisation, il y a des choses qui se trouvent par changement de détails. Les premiers outils n’étaient pas ovales, mais j’ai souhaité modifier le cercle pour accentuer l’illusion de relief , la perspective que produit le dessin. Il s’agit d’une recherche, peut-être vaine, de l’épuisement formel. Toutefois, je ne cherche pas à prendre toutes les voies, je mets en place des protocoles pour avancer, pour ne pas faire rentrer trop de paramètres en compte dans mes expérimentations. Par exemple, beaucoup de mes dessins sont monochromes, y faire cohabiter différentes couleurs serait sauter une étape. Il y a d’autres choses à explorer avant, comme le potentiel sur l’implication du geste dans la forme, étudier les différents types de papier, la viscosité du médium, etc. Cette approche est méthodique mais pas scientifique, les choix sont gérés par de l’intuition, de la surprise, de l’envie. C’est comme tout designer, la stratégie que l’on emploie pour aller le plus loin possible à partir de ce que l’on touche du doigt. Ce qui est aujourd’hui posé dans ma démarche ce sont les points de repère pour poursuivre les expérimentations, et les pas de côté à faire, les différentes voies à emprunter.
Ces nouveaux outils ont vocation à être partagés, utilisés par d’autres mains. Je travaille actuellement au développement d’un kit d’outils à dessin avec Fotokino à Marseille.
Après cet échange, j’ai décidé de lui montrer plusieurs images. Des spécimens typographiques de la Calypso 13 de Roger Excoffon et de la Thorne Shaded 14, une typographie utilisant l’illusion du volume par l’ajout d’une extrusion, ainsi que quelques exemples de typographie matérialisée dans l’espace par l’ajout linéaire de profondeur.
La typographie est un domaine très intéressant qui n’est toutefois pas dans ma pratique. J’ai eu l’occasion de lire Le trait, une théorie de l’écriture de Gerrit Noordzij qui a un écho particulier avec mon travail. Pour moi, le dessin, le trait, est l’extrusion d’un point par le geste, sur une surface. Mais ces dessins que je produis ne sont pas de l’écriture. Il n’y a pas de lecture possible, pas de signes. Même s’il y a parfois un « sens de lecture » induit par le sens du geste qui pousse l’œil à naviguer de haut en bas ou de gauche à droite 15, les questions relatives à la lettre telles que la lisibilité et la visibilité ne sont pas l’objet de mes recherches.
Pour ce qui est de la typographie en 3D, je pense qu’il y a de riches expérimentations à réaliser, en faisant des allers-retours entre volume et 2D, jouant avec la transparence d’un matériau, l’ombre qu’elle produit , etc.
Lors d’expérimentations plastiques sur papier argentique en 2018, j’ai eu l’occasion de figer l’incidence de la lumière sur une surface lorsqu’elle traverse un objet transparent ou translucide, avec une technique nommée rayogramme .
Le volume produit alors une forme traduisant l’incidence de la lumière lorsqu’elle traverse un objet transparent ou translucide. Les formes ainsi obtenues, par la réflexion et la réfraction de matériaux transparents révèle une autre vision de l’objet en volume.
Lorsque tu produis tes dessins qui semblent simuler un volume, est-ce une volonté de créer de l’illusion ?
Ces dessins ne jouent pour moi pas avec de l’illusion mais avec de la surprise. Je recherche d’abord comment on se surprend soi-même, puis comment on peut surprendre d’autres personnes amenées à regarder ce travail-là, intangible et impalpable. Comment une image peut arrêter notre regard, comment on peut obtenir une forme de durabilité et de persistance de l’image.Pour la question de l’interprétation en volume, certains dessins produits peuvent être interprétés très différemment, la projection et la perspective impliquent le spectateur dans le dessin. En revenant plus tard, on peut y découvrir de nouvelles interprétations, voir d’autres détails, des matières, du volume. Je me questionne sur l’obsolescence des images, ce qui fait que des formes peuvent durer.
C’est ainsi que se conclut cette entrevue qui, bien que n’appartenant pas au domaine de la typographie, nous permet de mieux comprendre quelles pourraient être les différentes relations qu’entretiennent un geste et sa plasticité.
En rencontrant une surface, le geste produit une trace, un trait qui synthétise une temporalité et l’implication d’un corps sur un support défini.
Cette temporalité du dessin a nourri beaucoup de fantasmes, comment rendre compte de la construction plastique d’une représentation graphique, par quel moyen pouvons-nous retranscrire l’action de la main sur une toile ? Dans le film documentaire réalisé en 1956 et nommé Le Mystère de Picasso, Henri-Georges Clouzot expérimente différents dispositifs filmiques pour capter l’essence du geste et la mise en place de dessins sur une surface. À l’aide de toiles translucides ou de grandes surfaces vitrées, la temporalité du dessin nous est donnée à voir. Qu’il soit isolé par la toile blanche ou accompagné du corps du dessinateur que l’on perçoit à travers la surface vitrée, le dessin semble apparaître miraculeusement.
Il nous est donné à voir l’inconcevable : la perception en deux dimensions d’un geste en trois dimensions, comme si nous étions les habitants du monde de Flatland, fiction littéraire de Edwin A. Abbott publiée en 1884, décrivant un monde plan, dont les individus et leurs milieux étaient mathématiquement plats.
En montrant tout le dispositif de prise de vue , Clouzot nous expose un système imparfait, une tentative dont les séquences du film oscillent entre couleur, noir et blanc, vu de face ou de derrière, support transparent ou opaque. Il ne semble pas y avoir de méthode idéale pour communiquer ou analyser l’entièreté d’un geste lorsqu’il rencontre une surface.
Alors que le film se concentre sur la toile, la feuille, la trace, on peut y observer la relation de l’artiste avec le territoire qui l’enveloppe. En réalisant des visuels de grande taille, il nous révèle des jeux de postures, une implication entière de son corps dans la création plastique.
Nous pouvons trouver un prolongement de cette recherche de dispositif de révélation du geste graphique chez Underware par la conception d’un système typographique à la frontière entre l’écriture manuscrite et les caractères mobiles .
En utilisant la technologie standard du format opentype et de la possibilité de créer des fontes variables, ils proposent un nouveau mode d’écriture qu’ils nomment « grammatographie » qui permet de saisir les gestes d’une écriture manuscrite dans un caractère typographique par l’animation en mouvement.
Ce geste d’écriture, objet d’étude du paléographe Jean Mallon dans son documentaire Ductus - La Formation de l’alphabet moderne, ne se limite pas au plan. Avec le réalisateur Jean Venard, ils mettent au point des animations visuelles révélant le trajet de la main, au-delà de son simple contact avec le support. Représenté ici par des pointillés , le survol du signe, nécessaire à sa réalisation, est totalement ignoré par la surface.
Cette caractéristique de la mémoire du geste peut-elle être capturée au même titre que la trace produite ?
Peut-on qualifier l’écriture de danse ?
Lorsque le corps cherche à s’exprimer sans prendre appui sur une surface, il s’affranchit du plan, construit ses propres signes et invente un nouveau vocabulaire sensible. Il se déplace, interagit avec son environnement, se rapproche, s’éloigne, passe devant puis derrière, les lignes tracées investissent de nouvelles dimensions, la profondeur et la temporalité deviennent constitutives de l’information, le choix d’un point de vue détermine ce que l’on perçoit de la scène. Nous allons ici explorer différents travaux autour des relations très étroites qu’entretiennent le corps et l’espace qui l’entoure.
Une des pratiques qui a pour principal champ d’expression le corps et son environnement est l’univers de la danse, dont les traces les plus anciennes remontent au Paléolithique, période durant laquelle elle semblait être davantage une pratique cérémoniale et religieuse 11.
La danse est le premier-né des arts. La musique et la poésie s’écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l’architecture modèlent l’espace. Mais la danse vit à la fois dans l’espace et le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l’homme se sert de son propre corps pour organiser l’espace et pour rythmer le temps. 12
C’est un art vivant, de l’instant, muable, dont l’exécution est souvent éphémère car constituées de gestes et de mouvements insaisissables. Les corps se meuvent sur un plan défini et prennent leur envol, par la force des jambes ou à l’aide de dispositifs scéniques déjouant le plan de la scène 13. En 1889, une danseuse précurseur du nom de Loïe Fuller inventa la danse serpentine.
Lors de ses représentations, elle se vêtit d’un long voilage accompagné de bâtons maintenus à l’extrémité de ses bras, tout en faisant intervenir un nombre conséquent de machinistes, chargés du bon déroulement du spectacle lumineux stroboscopique et coloré produit par des projecteurs électriques dont la technologie était encore balbutiante. Cette modification du corps par l’augmentation des dimensions de ses membres supérieurs, l’ajout d’un textile flottant comme enveloppe eurent pour effet de démultiplier l’amplitude de ses gestes, tout en allongeant leur temporalité en laissant le textile ondoyer derrière le geste amplifié. Le vêtement faisant partie constituante de la performance, les chorégraphies de Loïe Fuller ne tardèrent pas à être copiées et déclinées par de nombreuses autres danseuses de son époque 23.
Par le poids, l’encombrement et l’inertie imposés par le dispositif scénique, l’étendue des mouvements se voit modifiée pour embrasser pleinement l’espace environnant, imaginer de nouveaux gestes ou se muer en un autre individu dont les contraintes de mouvement produisent de nouvelles formes. Par la technique, le corps humain se voit ici augmenté, le geste libéré et intensifié, voire mué en un autre être comme le montre La Danse du Lys, métamorphose de la danseuse en une gigantesque fleur vibrante.
Dans son spectacle nommé 10 000 gestes, Boris Charmatz convoque un grand nombre d’individualités dans une même chorégraphie. Tous les gestes différents, insaisissables et fuyants.
10000 gestes qui ne seront visibles qu’une seule fois – disparus aussitôt que tracés, comme une ode à l’impermanence de l’art de la danse.
L’espace scénique est investi par une multitude de danseurs, dont les mouvements ne sont pas synchronisés. Certains convoquent des gestes domestiques ou absurdes, tandis que d’autres empruntent des vocabulaires acrobatiques. Chaque danseur évolue dans sa gestuelle singulière et propre. La scène est parfois désertée, tantôt exiguë lorsque les 25 danseurs assiègent le territoire de la scène sans faire appel à la symétrie ou à la répétition. Dans ce bouillonnement de différences, mélangeant remous et flegme, jaillit malgré tout une unité. La singularité devient une contrainte qui fait système. L’œuvre oscille entre perception d’individus et visualisation d’un ensemble cohérent par l’investissement de l’espace. Il s’agit selon les mots de Boris Charmatz d’une collection ainsi générée est aussi une anti-collection
. Ce travail de collection pourrait presque faire écho à une citation de Matthew Carter La typographie est un bel ensemble de lettres, pas un ensemble de belles lettres
. En faisant système par la contrainte, le chorégraphe sublime le potentiel expressif de la relation du corps et de l’espace qui l’entoure. Ce n’est plus au soliste mais à un ensemble de danseur d’habiter la scène.
Le travail de Boris Charmatz est héritier de celui de Merce Cunningham, chorégraphe américain né en 1919 dans l’État de Washington est à l’origine d’une véritable révolution de la discipline. Connu pour son utilisation de l’espace scénique et la liberté donnée aux mouvements des danseurs, il rejette les dogmes du théâtre à l’italienne et de la danse classique imposant une vision frontale du spectacle vivant. Par l’insert de l’aléatoire dans le processus des créations, il permit à de nombreux artistes d’investir l’espace-temps à l’aide de processus novateurs. Le geste n’est ici pas l’unique moyen d’expression d’un danseur soliste au centre d’une scène symétrique, mais un procédé d’engagement du corps dans un espace variable , avec une pluralité de danseurs, sans hiérarchie particulière et exécutant des mouvements simultanément. Le spectateur devient alors maître du choix de son point de vue, le choix de ce qu’il regarde.
En 1997, un programme informatique de conception chorégraphique nommé Character Studio permettant à Merce Cunningham d’expérimenter avec la technique de « motion capture », technologie de capture numérique des mouvements et des gestes du corps, mais aussi de les modifier, combiner ou recomposer. Ces travaux donneront naissance à la pièce Biped en 1999, premier spectacle vivant à associer performeurs et danseurs virtuels sur une même scène.
Des artistes contemporains poursuivent le travail autour de ces interactions entre le corps et l’espace scénique numérique avec notamment le duo Adrien Mondot & Claire Bardainne qui propose des décors interactifs dans leurs spectacles vivants Pixel en 2014 ou Hakanaï en 2013 qui proposait de placer la danseuse et le dispositif numérique interagissant avec les gestes au centre de la salle, multipliant ainsi les points de vue. La danse ne se contraint pas à la vision d’un seul point de vue mais se laisse apprécier en ronde-bosse.
Dans un autre registre, le mouvement du corps dans l’espace tridimensionnel constitue chez Tomás Saraceno un outil de dessin, matérialisant des liens, des interactions entre l’être vivant et son environnement.
Mis en exergue par un éclairage puissant dans un espace complètement noir, le plasticien expose les toiles de 6000 araignées qui ont tissé leurs parcours , leurs rencontres, leurs allées et venues. Les sculptures qui en découlent sont constituées de fils – dont la définition proposée par Tim Ingold s’applique ici parfaitement –, de traits qui prennent pleinement possession de l’espace.
La question de l’enregistrement ainsi que de la transcription de la danse et du mouvement du corps a connu une avancée fulgurante avec l’avènement de la photographie 18. Toutefois, pour aller au-delà de la capture de la simple posture et pour embrasser le geste dans sa spatialité et sa temporalité, des ingénieurs et artistes ont redoublé d’ingéniosité dans la mise en place de dispositifs de captation, d’étude et d’exposition des mouvements du corps.
À la fin du XIXe siècle, le Taylorisme, une méthode prônant la rationalisation industrielle par la réorganisation et l’optimisation du travail ouvrier, poussa de nombreux scientifiques à étudier les gestes du corps, de la main, pour réduire le temps de production. En divisant le travail, le capitalisme industriel a mené à une décomposition des savoir-faire : « D’un côté, les fonctions intelligentes, imaginatives et créatives ; de l’autre, les tâches techniques, physiques et répétitives » 19. Ainsi, le geste de création étant décorrélé du geste de conception, il devenait possible de travailler sur l’optimisation de celui-ci, devenu standardisé et né de la fabrication d’objets normalisés, en série.
Par les nouveaux enjeux de duplication, production et reproduction à l’identique, le geste répété doit être nécessairement le même. Pour ce faire, il a été analysé pour être comparé, fiabilisé. Un couple d’ingénieurs américains a particulièrement retenu mon attention pour leurs travaux d’analyse du travail. Lillian Moller & Frank Bunker Gilbreth ont participé à l’émergence d’une nouvelle discipline : l’ergonomie. Après un cursus de littérature et de psychologie, Lilian Moller Gilbreth se consacre avec son mari à l’étude du geste professionnel. Elle devint la première professeure en école d’ingénieur, inventa la poubelle à pédale et optimisa méthodiquement de nombreux appareils ménagers et de cuisine. Puis, elle introduisit son laboratoire de recherche dans son propre espace domestique, expérimentant et étudiant chacun des mouvements de ses 12 enfants pour rationaliser et systématiser leur éducation. Ces expériences seront retranscrites dans un livre autobiographique à succès nommé Treize à la douzaine, paru en 1948. Avec son mari Frank Bunker Gilbreth – maçon devenu inventeur et ingénieur – ils mettent au point une technique de captation du geste sur le médium photographique qu’ils nommeront Chronocyclegraphe 30
.
Il s’agit d’une méthode de prise de vue avec un long temps de pause, couplée à l’ajout de petites ampoules clignotantes sur les parties du corps à étudier. Le mouvement est alors matérialisé sur la pellicule par un tracé lumineux , dont les clignotements à une fréquence définie fournissent l’information de la vitesse d’exécution selon l’espacement entre les différents points qui, couplé à la mise en place de grilles dans la scène photographiée, permettait aux scientifiques de calculer précisément la vélocité de l’action.
Cette technique fait écho aux travaux d’Étienne-Jules Marey, qui inventa la chronophotographie en 1882 avec la conception d’un nouvel outil : le fusil photographique. Un dispositif permettant au photographe de capturer une douzaine de clichés sur un seul et même disque photosensible.
Ces travaux font suite aux expérimentations d’Eadweard Muybridge, avec qui il entretenait une correspondance, et qui parvint à figer en 1878 sur des négatifs une série de 12 photographies déclenchées successivement par le passage d’un cheval au galop devant une suite d’appareils disposés en ligne à intervalle régulier . Ces travaux mirent ainsi fin aux interrogations sur le possible isolement des sabots des chevaux avec le sol lorsqu’ils sont en pleine course, et posèrent une des premières pierres de ce que l’on nommera plus tard le cinématographe.
Cette prouesse technique est en partie liée à la résolution d’un problème que subissait la photographie à ses débuts. Avant l’invention par Richard Maddox et Charles Bennet en 1871 des plaques photosensibles au gélatino-bromure d’argent , la très longue durée d’exposition indispensable à l’impression d’un cliché sur la surface photosensible rendait la capture d’un instantané impossible. La fenêtre temporelle nécessaire à la prise d’un cliché étant importante, les sujets en mouvement étaient flous, fantomatiques, voire absents. Toutefois, les contraintes intrinsèques à cette technique ont permis aux premiers photographes d’imaginer une nouvelle méthode de capture du geste ne reposant pas sur la rencontre de celui-ci avec un support pour en figer la trace, laissant ainsi la liberté aux mouvements réalisés dans l’espace de s’imprimer sur le support photosensible, dans toute sa temporalité.
C’est ainsi qu’Étienne-Jules Marey captura pour la première fois le geste de son écriture manuscrite en s’abstenant de la surface qu’elle rencontre habituellement . Il écrivit son nom de famille à l’aide d’une boule blanche maintenue au sommet d’une tige peinte en noir, le tout devant une toile sombre permettant à la trace lumineuse de l’extrémité peinte de se fixer sur la plaque photosensible, par-dessus le fond. D’un seul geste, il produisit à l’aveugle un trait ininterrompu dessinant un mot dont la taille équivaut à celle de l’amplitude de ses mouvements.
Le tracé est donc isolé, figé par un appareil optique, distinct des techniques traditionnelles dont la trace est la démonstration de l’ajout ou de la soustraction de matière sur un support. Par exemple, la gravure lapidaire a recours à la rupture d’une surface par le retrait de matière, pour l’écriture manuscrite, la calligraphie ou le tatouage font appel au dépôt de pigments ou de matières colorées sur un support. Il s’agit selon Tim Ingold des traces soustractives et additives.
Ces premières expérimentations constituent les fondements d’une pratique photographique nommée light-painting introduite dans le domaine artistique par Man Ray en 1935 avec son œuvre « Space writing » , un autoportrait accompagné d’un geste matérialisé sur l’image par un trait blanc, la trace lumineuse d’une petite ampoule tenue par sa main. En écho à l’expérimentation de Marey, Man Ray glissa sa signature manuscrite au cœur du dessin lumineux. Le geste, contraint par le cadre qu’il s’est imposé, semble imprécis, contenu, n’investit pas l’espace qui lui est habituellement interdit.
Le photographe a décidé ici de montrer le dispositif et l’environnement de sa création, mais aussi de manifester la temporalité étendue du cliché en superposant le dessin à sa silhouette vaporeuse, éclairée continuellement par une lumière naturelle. On y devine la posture, quel a été le bras utilisé, la main gauche trahie par sa netteté démontre ainsi son immobilité durant toute l’exposition de la photographie. Autant d’informations habituellement masquées, tues ; le spectre du dessinateur réalisant son œuvre généralement occulté. Or ici, le corps exécutant le signe fait aussi partie de l’image. Le signe produit n’est plus l’unique trace du geste, la conduite du corps est directement imprimée sur le film photosensible, faisant apparaître du même coup l’échelle de réalisation du dessin.
Gjon Mili, ingénieur américain d’origine albanaise puis photographe pour LIFE Magazine fit de cette captation de la trace du geste dans l’espace sa spécialité, en invitant de nombreux artistes, musiciens, à expérimenter avec ce nouvel outil. Au moyen d’un long temps d’exposition associé à l’utilisation d’un flash dans un environnement privé de lumière, il se débarrassa de la silhouette fantomatique du dessinateur pour ne garder que la trace de son geste, et ne figer qu’une ou certaines postures au moment du déclenchement bref d’un vigoureux spot lumineux électrique. Une petite ampoule allumée pendant toute la durée de la prise de vue était soit directement manipulée par la main comme avec Henri Matisse ou Pablo Picasso , ou attachée à d’autres outils comme sur l’extrémité de l’archet du violoniste Jascha Heifeitz pour en admirer pleinement la danse insaisissable à l’œil nu.
Admirateur de ce nouvel instrument, Picasso souhaita réitérer l’expérience à de nombreuses reprises. Soucieux de restituer au mieux la performance du dessinateur, Gjon Mili commença à multiplier les points de vue d’une même performance .
En ayant un cliché de face et un cliché de profil, on comprend davantage la richesse de la profondeur du geste exécuté par l’artiste. Il ne s’agit plus d’un simple gribouillage sur une pellicule photographique, mais de la capture d’indices d’un mouvement dans l’espace, spatialisé.
Dans les différentes œuvres faisant appel à la technique du light-painting que nous avons précédemment examinée, un aspect fondamental du geste a été perdu. En effet, ces expériences plastiques ne retiennent que la silhouette d’un geste pourtant exercé dans un espace tridimensionnel. Comment rendre compte de cette dimension supplémentaire ?
Il n’aura pas fallu attendre l’arrivée du numérique, ni même celle de la photographie pour obtenir de premiers éléments de réponse. Effectivement, notre perception du volume est directement liée à notre vision stéréoscopique. Cette caractéristique physiologique était déjà connue d’Euclide d’Alexandrie, qui décrit le phénomène au IIIe siècle avant J.-C. Puis trouvera une première application dans un dispositif optique de Charles Wheatstone en 1838 nommé stéréoscope à miroir .
En affichant deux images d’une même scène à chacun de ses yeux mais dont le point de vue diffère légèrement , on se donne l’illusion cognitive d’être confronté à un volume réel. Si l’écart entre les deux prises de vue est égal à l’écart de nos yeux, le volume est alors interprété par le cerveau à échelle réelle. Ces premiers dessins géométriques démontrant l’efficacité du dispositif engrangèrent rapidement la mise en place de machines photographiques, composées de deux objectifs et permettant ainsi la capture de clichés stéréoscopiques.
Ce n’est pas un jouet, c’est un don divin placé entre nos mains par les sciences, [...] qui révèle le tout-puissant sur les lèvres d’humbles étudiants de la nature.
Ce fantasme est cependant restreint par l’unique point de vue proposé par l’appareil, dont l’illusion s’ébranle lorsque l’on cherche à tourner autour, à pivoter ou à intéragir avec l’objet ainsi capturé.
C’est avec un dispositif équivalent que le couple d’ingénieurs Lillian Moller & Frank Bunker Gilbreth a mené certaines de leurs observations , leur permettant d’analyser le mouvement réalisé dans toute sa profondeur, jusqu’à reproduire matériellement le tracé réalisé à l’aide d’un fil de fer . L’utilisation de grilles définies placées dans la scène prise en photo lui permit de représenter dans l’espace le tracé exact à échelle réelle. Le geste capturé s’est ainsi évadé de la pellicule, dans un joyeux aller-retour fécond entre tridimensionnalité de l’espace et surface photosensible.
Toutefois, la stéréophotographie, par sa capacité à capturer une image tridimensionnelle, ne se contente pas d’une retranscription de la profondeur. En effet, lorsque nous évoquons communément la 3D, nous visualisons un objet en volume avec pour variable x, y et z. Or, il nous serait libre de définir quelle est la nature des 3 dimensions employées. Ainsi, en invoquant le temps comme troisième dimension, il nous serait possible de visionner deux états d’un même mouvement dont le saut temporel est défini par l’intervalle entre les deux prises de vue.
Pour visionner les épreuves à mouvement, il incombait à l’observateur lui-même d’effectuer l’animation d’une image à l’autre en clignant chaque œil alternativement. En plus de la vision de ces images en relief, ce dispositif repose sur une vision monoculaire, une image correspondant à un œil. La sensation de relief est donc supprimée lorsque l’image est animée. Ces vues stéréoscopiques à mouvement, [...] pourraient ainsi être plutôt qualifiées de chronoscopiques : leur troisième dimension, la profondeur, étant non plus spatiale, mais temporelle.
Le mouvement, étant ainsi reproduit par le défilement d’une séquence de 2 images, donnera vie à des clichés qui, avec les photographies stéréoscopiques seront nommés photographies animées, préambule du cinématographe.
Les lignes produites par nos gestes étant par nature éphémères car obéissant aux lois de l’instantané, ont cherché à être pérennisées, matérialisées pour pouvoir prendre le temps de les observer, les apprécier ou de les analyser. C’est ainsi que le sculpteur et plasticien Alain Kirili présenta en 2015 une série d’expérimentations sculpturales inspirées des tracés picturaux dont les travaux tardifs du peintre Hans Hartung.
Kirili a toujours défendu l’importance du geste créateur, de l’effort déployé par le corps de l’artiste lors de l’exécution d’une œuvre : « pour moi le geste est essentiel » [...] Comme dans la calligraphie, toute sa création se fait à partir de gestes libres et rapides, sans corrections ; de même, le résultat s’affranchit de la figuration et l’ensemble vise à former une écriture dans l’espace. Il résume : « Je suis un calligraphe dans la pierre, dans la terre, je suis un calligraphe dans le fer
De ce fait, Alain Kirili proposa une série de sculptures nommée « Iron Calligraphy », et une série d’interprétations en volume de gestes dans l’espace, parfois directement inspirées des travaux de Gjon Mili avec Pablo Picasso .
Les langages des signes, systèmes gestuo-visuels, s’inscrivent dans une relation à l’espace et au temps qui se déploie dans le territoire de l’instantané. Les besoins de conservation ou d’analyse de ce langage nécessitent la mise en place d’outils de transcription ou de capture de ces mouvements. La première tentative de sauvegarde d’un discours en Langue des signes américaine employait le cinématographe en 1913 pour l’essai animé Preservation of the Sign Language de Christopher Shea. Plus récemment, le projet Typannotconduit par le laboratoire De-Sign-E Lab de l’ESAD d’Amiens et l’équipe de chercheurs interdisciplinaire nommée Gestuel Script mena une réflexion plus large autour de la mise en place d’outils de capture et d’analyse des gestes, jusqu’à la conception d’un système d’écriture tapuscrit et manuscrit. Dans de premières expérimentations de captation du geste, les chercheurs conçurent une méthode qualifiée de « photocalligraphie ».
Pour saisir le geste fugitif du locuteur, ils mirent en place un dispositif photographique à long temps de pause, permettant aux mouvements du corps sur un fond noir de s’imprimer sur le capteur de l’appareil, comme pouvait le faire Étienne-Jules Marey en 1882, mais avec cette fois-ci la possibilité de montrer au locuteur le résultat quasi immédiat de la capture photographique numérique. Le locuteur a ainsi la possibilité d’adapter certains de ses gestes pour en améliorer la compréhensibilité. Toutefois, pour une meilleure retranscription, l’utilisation d’outils de motion capture offre une quantité d’informations enregistrées plus importante. En enregistrant la position et les mouvements des parties du corps dans l’espace, l’ordinateur peut reconstituer un squelette virtuel exerçant les mêmes gestes que la personne étudiée. Les signes ne sont plus perçus depuis un point de vue extérieur, mais par une lecture intériorisée de l’action des différentes articulations du corps. La retranscription ne se faisant plus à partir de la position dans l’espace de certaines parties du corps mais à base de mouvement du corps même, cela permit à l’équipe de construire un système de graphèmes traduisant l’action des doigts, des yeux, de la bouche et de leurs mouvements.
En transcrivant nos gestes par des dispositifs de captations optiques, les instruments photographiques peuvent capturer et nous communiquer d’une nouvelle manière la trâce de nos mouvements.
Avec l’apparition de machines calculantes, ce processus de captation, fabrication et modification de l’image se réalise dans une temporalité tout autre, jusqu’à frôler l'imperceptible par l’œil humain. Les gestes peuvent donc être capturés et retranscrits en temps réel. De nouveaux espaces sont à appréhender.Pouvoir apprécier la trace de ses gestes tout en les exécutant, les voir autrement, permet-il de les exécuter différemment ?
D'en découvrir de nouveaux ?
La version web est malheureusement encore en cours de construction. {Mise en page adaptative, vidéos, mode sombre, légendes cliquables, etc...}
En attendant, n'hésitez pas à consulter le pdf, ou à jeter un œil à mon portfolio !
« Est-il possible de laisser un premier croquis devenir un objet, de concevoir directement sur l’espace ? »
La question est posée par le studio suédois ironiquement nommé Front Design, dans le texte de présentation de son projet « Sketch Furniture Performance Design » en 2005.
L’idéal que le studio souhaite ici toucher du doigt est la possibilité de transformer un croquis, un dessin succinct, un geste fugace en un objet matérialisé et praticable. Pour ce projet, Front Design expérimente l’usage combiné de plusieurs technologies numériques. La première est un outil de captation du geste que l’on nomme motion capture. Il s’agit du travail collaboratif de plusieurs capteurs vidéo suivant un même objet en mouvement, de différents points de vue . Les données sont alors combinées pour obtenir un tracé dans l’espace, contenant l’échelle, la position, la vitesse d’exécution et la profondeur du dessin. Notamment utilisé dans l’industrie du cinéma d’animation et des jeux vidéo, il permet à un acteur d’incarner un autre corps que le sien, simulé par un ordinateur en lui confiant chacun de ses mouvements. On retrouve cette technologie dans les dispositifs de réalité virtuelle, qui peuvent ainsi permettre à l’appareil informatique de connaître la position exacte d’une main, d’une manette ou d’une partie du corps pour lui permettre d’interagir avec l’environnement simulé, et par conséquent améliorer l’immersion de l’individu.
C’est alors qu’une seconde étape intervient. Celle de la mise en volume du tracé mathématique . En effet, la figure produite n’est pour le moment qu’un squelette, du ductus de la forme que l’on souhaite produire. Les objets produits semblent ici être le fruit d’un trait imprécis, massif et rebondi. L’épaisseur des traits est définie à postériori de l’exécution du dessin car le dessinateur n’a pas accès en temps réel à ce qu’il produit.
Enfin, pour ce projet, une dernière étape est nécessaire. Celle de la transformation du volume simulé par l’ordinateur en un volume analogique et palpable . Il est ici question d’impression 3D, un procédé de fabrication produisant un objet tridimensionnel par l’ajout de successif de couches d’un matériau défini. Le modèle 3D numérique autrefois simulé, peut maintenant s’intégrer à un écosystème tangible et ainsi remplir de nouvelles fonctions d’usage. Cette dernière étape n’est pas dépendante des premières, car la conception d’objet 3D peut se faire avec d’autres types d’interface tels que des logiciels de modélisation 3D, de CAD ou d’autres techniques et dispositifs numériques.
Ce que l’on peut noter ici est l’implication du corps entier dans le processus de conception d’un objet. Le dessin industriel y est réalisé à taille réelle, dans l’espace, sans les contraintes formelles et structurelles qu’implique l’utilisation d’autres techniques de prototypage tel que le modelage ou la sculpture. Ce n’est plus l’ajout, l’altération et la soustraction de matière ou encore l’interface des outils de CAD qui induisent certains choix esthétiques. Le corps est pleinement impliqué dans la conception de la forme. Le dessinateur se courbe ou se met à genoux pour réaliser un détail proche du sol, se met sur la pointe des pieds pour espérer atteindre le sommet d’un luminaire. L’ergonomie entre ici en compte aussi pour le créateur de l’objet. De plus, l’apparition de l’objet dessiné se produit qu’une fois le geste terminé, le dessinateur n’a pas conscience du tracé qu’il a exécuté, il le repasse, le corrige, le complète, rature ses gestes déjà figés. La révélation du dessin est alors une découverte, l’apparition d’un objet qui existait déjà entre les mains du concepteur, tissé par ses gestes à l’aveugle.
Tout d’abord, nous allons tenter de définir succinctement ce qu’est la réalité virtuelle.
Le mot « virtuel » possède plusieurs définitions. La première, la plus ancienne, vient du latin virtualis et signifie « en puissance ». Il s’agit de l’antonyme du mot « actuel ». Toutefois, le langage courant utilise souvent la virtualité pour décrire un phénomène qualifié de « dématérialisé » ou qui n’a pas d’existence « réelle ». Stéphane Vial rejette cette opposition. Selon lui, « réalité virtuelle » n’est en rien un oxymore. L’expérience acquise dans ce qui est couramment appelé « monde virtuel » n’a rien d’irréel. En prenant l’exemple des simulateurs d’aviation numériques, Stéphane Vial met en avant l’existence réelle des compétences acquises dans un monde simulé.
Pour Quéau, « Le virtuel devient un monde propre, à côté du monde réel ». En opposition avec Quéau, il souhaite briser la confusion créée par la séparation de deux mondes « parallèles » effectuée par certains théoriciens dans les années 1990.
Nous utiliserons donc ici l’expression « réalité virtuelle » pour décrire un environnement interactif simulé informatiquement. Pour interagir avec cet environnement simulé, il y a différentes interfaces possibles, différents niveaux d’interaction et
d’immersion avec de nombreux dispositifs cognitifs. Nous nous concentrerons ici sur l’utilisation de visiocasques stéréoscopiques accompagnés de manettes individuellement suivies dans l’espace. Ils ont connu une relative démocratisation avec notamment l’arrivée de sociétés comme Oculus et son Oculus Rift ; un visiocasque lancé en 2014 qui a mené au rachat de l’entreprise par Facebook – renommée Meta Platforms en 2021 – et à la naissance de nouvelles générations de casques dits « autonomes » ; c’est-à-dire ne nécessitant aucune connexion filaire avec un ordinateur ni l’utilisation de capteurs externes pour son utilisation, facilitant ainsi sa prise en main. Avec une estimation approchant les 15 millions d’unités vendues pour le « Meta Quest 2 » sorti en 2020, le dispositif s’invite petit à petit dans les foyers mais aussi chez les créatifs, avec la sortie en 2022 du Meta Quest Pro destiné à cet usage non récréatif.
Toutefois, l’adoption des outils de réalité virtuelle visuelle dans le monde professionnel débutera dès les années 2000, en particulier pour le prototypage des automobiles, économisant le temps et les ressources nécessaires pour construire un exemplaire tangible. De premières expérimentations et réflexions sur la mise en place d’espaces de création en réalité virtuelle firent leur apparition dans les années 1990 , avec l’imagination et la transposition d’outils de création de volume dans un environnement simulé.
À ce jour, plusieurs outils de création dans un espace virtuel proposent différents outils et procédés de production en volume. Certains souhaitent reproduire l’expérience du modelage avec des logiciels tel qu’Adobe Medium ou Substance 3D Modeler, d’autres proposent de transposer l’animation traditionnelle dans un espace virtuel avec Quill VR, ou encore d’invoquer les outils de CAD avec Gravity Sketch, utilisé par de plus en plus d’étudiants en design automobile. Ces outils de conception sont beaucoup plus intuitifs que leurs équivalents en deux dimensions, permettant au geste de se déployer dans l’espace créatif sans heurter la frontière d’une interface plane.
L’écran est une surface faisant arrêt
Laureline Galliot, diplômée de l’ENSAAMA après des études de design de mode puis de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les Ateliers) en 2012, fut lauréate de la 8e édition du Design Parade à la villa Noailles pour son projet LINE AND MASS. Critiquant l’utilisation systématique du dessin au contour lors de la conception classique d’objets, elle développe ainsi un processus de dessin dans l’espace à partir d’outils d’animation 3D en Réalité Virtuelle et d’impression 3D colorée.
En utilisant différentes couleurs pour la masse des lignes tracées dans l’espace virtuel, l’objet une fois matérialisé par l’impression 3D rend compte visuellement du ductus, de l’ordre et de la particularité de chacune des lignes. Le geste dans l’espace fait ainsi partie intégrante de l’objet fini, sans se heurter à l’interface d’un logiciel 2D. En étant libéré des restrictions imposées par la représentation plane et l’entravant lié à l’interaction en deux dimensions avec l’objet que l’on crée, le corps a la possibilité de pleinement s’investir dans le dessin en volume. Pour en dessiner les formes, il n’a plus besoin de se contenter de l’exploration du territoire de la surface de l’écran, mais peut pleinement profiter de la profondeur de l’espace qui l’entoure.
C’est après trois ans d’étude de graphisme numérique que j’ai commencé à m’intéresser aux outils de modélisation et de rendu d’image 3D. Toutefois, mon attrait était déjà là, palpable. Non pas comme moyen de médiatisation, mais comme outil de création d’image, générateur de plasticité. Le volume n’était pas la finalité, il était photographié, filmé, simulé, le spectateur n’avait accès qu’à un seul point de vue, contrôlé. Il s’imposait au début par la réalité matérielle des projets : maquettes, affiches-objets, marionnettes, installations. Le volume n’était pas le sujet mais un prétexte pour générer des jeux de lumières, de matériaux, superposer, cacher, puis sélectionner un seul et unique point de vue. Ensuite, ma pratique s’est ouverte à de nouveaux outils, de nouveaux moyens plastiques, je me suis mis à traduire des objets tangibles en objets virtuels, simulé numériquement, porté à notre regard par le biais d’un langage informatique qu’aucun humain ne peut lire.
L’écriture informatique a délégué les pouvoirs de la mémoire à la machine et à la matière-mémoire inaccessible à l’Homme
Ces objets, sculptures, se retrouvent propulsés dans un monde simulé , où les règles peuvent être redéfinies, modifiées, rejouées. Grâce à la photogrammétrie (processus informatique traduisant différents points de vue d’un même objet photographié en un volume simulé par un ordinateur) ou à d’autres techniques de numérisation tridimensionnelle (communément appelé Scan 3D, utilisation de capteurs de profondeur, permettant de reconstituer le volume d’un objet en tournant autour), je découvre la liberté de mise en scène permise par les logiciels de CAO (Création Assistée par Ordinateur). Ces outils me libèrent des contraintes qui me terrorisaient autrefois : la fragilité matérielle, les contraintes gravitationnelles, ou plus trivialement le coût des matériaux.
Au moyen de logiciels open source comme Blender, me voilà maintenant en possession de tous les instruments que je souhaite ; duplication quasi instantanée, contrôle de chaque source de lumière, de l’échelle, la position ainsi que la nature des surfaces de chaque objet qui peuple le monde imaginaire que je m’apprête à photographier, à filmer.
La question de l’écriture et de la conception de formes dans un monde virtuel s’est posée dès ma première année de DSAA Design typographique. En utilisant des outils de création en réalité virtuelle par l’interface d’un visiocasque stéréoscopique accompagné de ses deux manettes, je me suis vite rendu compte d’une caractéristique propre à cet outil. Je ne pouvais pas toucher du doigt, ressentir la résistance ni m’appuyer sur ce que je voyais, percevais ou créais. Il m’était impossible de dessiner sur un support, sur une surface parfaitement plane.
Toutefois, j’ai décidé de faire face au problème autrement. Il m’était maintenant possible d’exécuter des gestes, des ductus, des écritures se passant de surface matérielle. Quelles peuvent être les formes de ces créations, quel modèle utiliser pour écrire sans support ? Un signe peut-il être lisible lorsqu’il se déploie dans l’espace ou sa visibilité ne dépend que de certains points de vue ?
J’ai débuté une première réflexion à l’occasion du projet de création de l’identité de la 13e édition du Printemps de la Typographie ayant pour thème : « La typographie en prospective, fonctions et fictions ».
Le support de diffusion du projet étant l’affiche imprimée, mes tentatives sculpturales devaient nécessairement passer par la capture d’une image. J’ai choisi ici de travailler la photographie, dont tous les aspects sont simulés dans le logiciel de rendu d’image 3D, pour transmettre la perception du volume par le biais de la lumière, la profondeur de champ et d’autres caractéristiques donnant l’illusion de relief.
Ces expérimentations me firent découvrir l’importance fondamentale du geste dans la réalisation de formes en réalité virtuelle.
En préambule de mon projet de diplôme, j’ai donc commencé dès le mois de mai 2022 un exercice de revival de la typographie Calypso de Roger Excoffon. Véritable vitrine de la fonderie Olive, cette typographie n’est pas construite à partir de tracés de contours, de formes et de contre-formes. C’est un travail dans la masse, le corps de la lettre, avec une trame imitant les jeux d’ombrage pour donner l’illusion du volume. Ce volume devient alors la structure du signe, sa composante principale.
Je travaille pour cela sur le logiciel Gravity sketch, un outil de modélisation 3D en réalité virtuelle conçut pour répondre aux besoins des designers industriel et automobile.
Il propose des outils de conception de volumes vectoriels, contrairement aux géométries composées de polygones habituellement utilisées par les logiciels de modélisation 3D. Le dessin est fait de courbes, non plus d’un succession de lignes droites. Tout comme avec l’utilisation des courbes de Bézier en typographie, j’ai souhaité détourner un outil issu du monde automobile : les NURBS (Non-Uniformal Rational B-Splines), représentations mathématiques de surfaces en volume.
Le geste, par nature insaisissable, a longtemps été vecteur de plasticité par son contact avec un support. La mémoire de celui-ci était ainsi conditionnée par sa rencontre avec une surface. Cette surface, fondement de l’écriture depuis les tablettes d’argile mésopotamienne, la gravure lapidaire, jusqu’à la manuscription contemporaine, a été ces deux derniers siècles boulversée par l’arrivée de nouvelles machines permettant de figer un geste, un mouvement, autrement que par la réception d’une trace, selon la définition de Tim Ingold . De nouveaux moyens d’expression ont permis à des artistes de créer de nouvelles formes, intangibles, transgressant certaines lois dictées par la matérialité des empreintes de nos outils. Les traits ne répondent plus aux injonctions de la gravité, les courbes ne se retrouvent plus brisées par la résistance de certains matériaux.
En figeant l’incidence de la lumière sur une surface pendant une durée définie, la photographie rend ainsi compte des gestes au-delà de leur simple trace ; sur, ou dans la matière. La mémoire des signes ainsi capturés se voit dotée d’informations de profondeur, de temporalité et parfois même de vitesse d’exécution dans l’espace. De nouveaux dispositifs informatiques poursuivent cette émancipation du plan en nous autorisant de nouvelles explorations formelles dans l’espace. En accordant au scripteur la visualisation en temps réel des lignes produites par ses gestes, les outils de réalité virtuelle ouvrent la possibilité d’une construction d’un ensemble de formes issues de nos mouvements tridimensionnels dont il nous est possible de répéter, corriger, parfaire la forme souhaitée en modifiant aisément nos postures.
Toutefois, les modèles d’écriture s’appuient majoritairement sur la rencontre d’un outil et d’une surface ; la lettre T est généralement composée d’une verticale et d’une horizontale. Mais qu’en est-il de la profondeur ? Une simple transposition dans un espace tridimensionnel ne permettrait pas aux gestes de s’émanciper pleinement du plan. Cette construction plane du signe est-elle réellement indissociable de l’écriture, de la lisibilité ?
Comment écrire sans surface ?
Ces questionnements pourraient s’incarner dans mon diplôme autour de la lettre et du mot dans l’espace. Prolongement de mes expérimentations numériques avec un dispositif de réalité virtuelle, ce projet viserait à prendre en compte d’une nouvelle manière les qualités plastiques, graphiques de mes gestes. Au moyen de l’utilisation de logiciels de modélisation 3D en réalité virtuelle, destinés initialement à un usage de conception d’objets industriels, je peux m’emparer des formes tracées par mes mouvements pour les transposer dans des espaces virtuels, les photographier, les imprimer voire les matérialiser en objets tangibles. Pour ne pas simplement reproduire un lettrage sur une surface illusoire, j’ai par exemple choisi de m’inspirer du travail de Martin Andersch autour de l’apprentissage de la calligraphie pour débuter mes expérimentations avec cet outil. Il s’agit donc d’apprivoiser l’écriture sans contenu sémantique, ou d’exécuter des transcriptions plastiques de sensations auditives ou visuelles. L’exercice est de produire des signes à partir du rythme, des mouvements perçus une œuvre visuelle, un morceau de musique. Présentent-ils des caractéristiques plastiques différentes ?
Dans une série de 3 affiches, j’ai notamment tenté de mettre en scène les signes produits lors de 3 rencontres avec des œuvres d’art. Take Five interprété par The Dave Brubeck Quartet (1959) , Arria et Poetus de Pierre Lepautre (1685 - 1695) et Primavera de Sandro Botticelli (1481 - 1482) .
En plaçant ces œuvres d’art numérisées à taille réelle dans un espace en réalité mixte , je dispose d’une relation privilégiée, sensible, intime avec l’œuvre d’art.
Cette rencontre sensible me permet d’en extraire des signes devant, autour, voire à l’intérieur de l’œuvre. Posture, drapés, compositions, rythmes et mélodies sont autant de sources d’élans gestuelles, transcrits en signes tridimensionnels par le dispositif de réalité virtuelle.
Ces premières recherches visent à emmener petit à petit cette pratique vers le mot, la lettre, l’écriture, vers de l’écriture émancipée du plan, une écriture en trois dimensions.
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Paris, mars 2023.
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